Au commencement, il y avait une chapelle et quelques initiés. Aujourd’hui, la chapelle est devenue cathédrale, du moins en termes de box-office. Il suffit, pour en mesurer la grandeur et l’importance. de consulter la liste des films ayant réalisé les meilleures recettes de tous les temps, établie par décennies « La mélodie du bonheur », « Love story » et « Docteur Jivago » arrivent en tête du palmarès des années 60. Il faut attendre la seizième place pour voir apparaître « 2001, l’odyssée de l’espace » puis c’est à nouveau le désert jusqu’au quarante-troisième et quarante-quatrième rang avec deux fleurons du genre « La planète des singes » et « Rosemary’s liaby ». Le paysage se modifie déjà considérablement avec les années 70, puisque les trois premières places sont occupées par « La guerre des étoiles », « L’empire contre-attaque » et « Les dents de la mer », suivis au cinquième, septième et huitième rang par « L’exorciste », « Superman », « Rencontres du troisième type ». Douze films relevant du genre figurent dans les cinquante meilleures recettes contre trois la décennie précédente. Tendance confirmée dans les années 80.
Arrivent en tête : « ET. ». « Le retour du Jedi », « Batman », « Ghostbusters » et la trilogie « Indiana Jones » (qui, sans être classée dans le genre fantastique, lui emprunte beaucoup d’éléments et flirte constamment avec). Donc, pas de doute : la chapelle est devenue cathédrale, et le temps des premiers fidèles est loin dans ce temps-là, les grands studios n’avaient pas la foi et les festivals refusaient de répandre une parole qui suintait le soufre. Pour meubler les premières manifestations du genre. Il fallait ratisser large et prendre tout ce qui se présentait, surtout des histoires de psycho-killer qui ne devaient leur classement fantastique qu’à un excès d’hémoglobine et d’effets spéciaux particulièrement efficaces dans les mille et une horreurs des mutilations physiques. Pour certains, ces affreux ont d’ailleurs entaché la réputation d’une famille qui, en gagnant aujourd’hui un large public, aimerait bien se débarrasser d’eux.
Depuis quelques années, à Avoriaz, on relègue ces monstres dans un placard dont on n’entrouvre prudemment la porte qu’à quelques séances de minuit pas question que ces loqueteux aillent salir les habits tout neufs d’un genre qui préfère aujourd’hui cultiver, entre autres les branches du romantisme, du poétique et du merveilleux. En conquérant le box-office, le fantastique a insidieusement envahi les autres genres et peut se déguster aujourd’hui à toutes les sauces : sauce romantique avec « Ghost », sauce comique avec « Ghostbusters », sauce western avec « Retour vers le futur 3 », sauce métaphysique avec « Expérience interdite », sauce pimentée. Originale et inclassable avec « Sailor et Lula » après être resté des années dans un ghetto, le fantastique a pris ses quartiers d’hiver et d’été dans les demeures les plus spectaculaires et c’est une installation qui va durer, pas une folie passagère. Il n’en veut pour preuve que le développement éditorial du genre en France. Nous étions, paraît-il, trop cartésiens pour accepter les délires des maîtres de l’irrationnel après des années de disette, voici venu le temps des collections spécialisées, de la reconnaissance la plus large des « grands » (Stephen King, Clive Barker). Cette opulence du genre lui a-t-elle fait perdre de sa pureté ? Nos héros modestes de jadis ont-ils vendu leur âme diabolique au dieu du box-office en prenant de la couleur 7 si l’on prend la dernière version du « Fantôme de l’Opéra », on peut légitimement s’inquiéter.
Va-t-on réactualiser des vieux mythes en les passants à la machine à remakes ? Heureusement, un film comme « Darkman », véritable retour aux sources, nous rappelle qu’un genre populaire renaît toujours de ses cendres lorsqu’il est abordé avec fougue et sincérité. Finalement, la chapelle existe toujours, la cathédrale l’a englobée sans la détruire et la vidéo nous offre tous les spectacles du genre que demandent les fantastico-maniaques ?